Vengeance ou droiture ?
Comme dirait Mottate, que choisir entre la vengeance et la droiture contre vents et marées ? Il est rare que ce choix me paraisse si peu évident à faire qu'aujourd'hui. C'est que je suis d'une nature plus que conciliante et qu'en plus, les coups de hache partout, ça tache. Alors pourquoi tant de haine, d'un coup ?
Imaginez que vous ayez attendu quatre longues années pour réunir courage et force pour vous rendre sur une tombe d'un être tendrement aimé. Enfin, n'exagérons pas, vous y seriez bien allée plus tôt, sauf que le quidam qui avait promis de vous y emmener avait renoncé après moult tergiversations à l'expédition, par lâcheté avouée. Bon prince, le gus vous avait fourni tout de même le lieu d'inhumation, histoire de pouvoir un minimum vous débrouiller. Sauf que voilà, courage et force dans la poche, apprêtée comme une vraie dame ( Enfin, il faut le dire très vite... BBK, c'est décidé, tu me donneras des cours de marche sur talons !) et accompagnée d'un preux chevalier (Monseigneur, Mottate vous fait concurrence !), vous vous mettez en route... pour découvrir à l'arrivée que le cimetière indiqué n'est pas le bon. Comme vous vous doutez que dans son état, votre
bien-aimé Fred ne s'en est pas allé en pique-nique avec sa pierre tombale sus le dos, vous comprenez la vérité...
Le charmant homme qui vous avait donné l'adresse jadis ne s'était pas trompé, puisqu'il s'était rendu à l'époque à l'enterrement. Non, il vous a délibérément induite en erreur et ce n'est pas vraiment la première de ses farces.
Si je me fie à mon émotion, qui a une fâcheuse tendance à diriger mes pas, je prends le premier instrument de torture qui me vient sous la main et je fonce au domicile de l'impudent qui osa me blesser si cruellement.
Si je me pose plus de deux minutes et demi, la raison se fait timidement entendre. Elle me rappelle qu'avant de haïr, il faut comprendre. Quoi, je serais capable de pardonner à un violeur, à un fou, mais pas à un type qui fait preuve de lâcheté ordinaire ? Ce n'est pas ainsi que je gagnerai mon auréole !
Après tout, pourquoi est-ce que j'en veux tant à mon indélicat ? D'une part parce qu'il me prive de retrouvailles ardemment désirées, nécessaires autant qu'indispensables. D'autre part parce que cet homme savait que ce qu'il faisait en jouant à ça était une grande trahison vis-à-vis de moi. Il me connaissait assez pour savoir le besoin que j'avais de faire ce pèlerinage.
Pour le premier point, Raison, fort aimablement, me suggère qu'avant le découpage en rondelles, il y a d'autres pistes à explorer pour retrouver mon Fred qui, globalement, a peu de chances de déménager quinze fois avant que je ne remette la main dessus. En plus, je sais désormais qu'un beau chevalier m'accompagnera pour de vrai dans mon périple, si rude soit-il.
Pour le reste... une trahison de plus ou de moins, venant d'un homme qui a réussi en trois ans de temps à établir le record dans le domaine...Franchement, est-il bien prudent de sortir de mon mépris viscéral pour lui pour verser dans des sentiments plus violents dont il ne mérite pas l'aumône ?
Oui, dit le cœur, tant le crime est grand. Non, rétorque la tête, puisque le temps que tu passeras à grogner ne sera pas employé à atteindre le but final, à savoir retrouver la tombe tant convoitée.
Et puis, si l'on y songe bien... et si celui à qui j'en veux estimait avoir fait ça pour de bonnes raisons ? Il y a quantité de façons de se tromper sur la façon de faire du bien à quelqu'un...
Alors, vengeance ou droiture ? Je n'ai jamais prétendu être une sainte. Mais si vraiment je ne peux me départir de ma rage, je veux la mettre au service de la quête à mener. Parce que comme toujours avec moi, le pire côtoie le meilleur. Le pire, c'est cette épreuve supplémentaire. Le meilleur ? Un drôle de dandy éthéré qui aurait pu cent fois me lâcher la main vendredi : non seulement ne l'a pas fait mais en plus il propose de rempiler pour une nouvelle aventure... je suis incapable pour l'heure de ne voir que ce bon côté mais... Aucune vengeance n'apaisera ma crainte de ne pas être au rendez-vous. En revanche, si j'accepte la main tendue de cet ami, j'ai une vraie chance de parvenir enfin à mes fins... sans compter que ledit ami, il mérite que je fasse bon usage de ce présent qu'il m'offre.
Alors voilà, Mottate, j'ai la réponse à ta question : Plus que la droiture absolue, c'est celle que je te dois, comme celle que je dois à tous ceux qui me font avancer, que je choisis. Ça coûte toujours beaucoup de ranger les armes, mais je préfère sur ce coup encore les troquer contre une paire de chaussures sans talons et une bouteille d'eau fraiche.
Mais je ne te garantis en rien de te tenir ce discours lors de notre prochaine équipée.